A la recherche de l'université perdue par Mohammed Guatarni* (Le Quotidien d'Oran 18/09/09) Il y a quelque deux ou trois
décennies, à peine, l'université algérienne était le fleuron de la
culture et un haut lieu du savoir. Elle était la courroie de
transmission de la science grâce à sa cheville ouvrière: un personnel
pédagogique qui jouissait d'un standing de vie et d'une considération
sociale digne de son rang et de la noblesse de sa mission.
Elle
était la fierté, non seulement de l'Etat (quand il était en bon état),
mais de la Nation tout entière. Elle formait l'élite de l'élite au
pays. Elle était réellement le phare qui éclairait notre société. Ne
réussissaient, alors, que les méritants. Autrement formulé, elle était
la voie royale de «la promotion sociale des meilleurs». En un mot,
c'était la véritable Kaaba du Savoir vénérée et respectée d'un respect
religieux. Dieu n'a-t-Il pas dit «Iqra'a» ?
Les temps ont
changé. Aujourd'hui, les jeunots ne pensent qu'à décrocher leurs
modules sans fournir trop d'efforts, donc sans mérite, voire en
trichant. Ils s'intéressent de moins en moins aux études. Ils lisent
juste ce qu'il faut pour pouvoir répondre - «un peu près» - aux sujets
des examens pour tenter de s'assurer une réussite vaille que vaille.
Notre université semble avoir changé de statut. Autrement dit, il ne
reste de supérieur dans «l'Enseignement supérieur» que son épithète qui
ne s'accorde, d'ailleurs, ni en genre ni en nombre avec sa mission
originelle citée supra.
La stimulation intellectuelle que
nous avions, étant potaches, pour la science et la culture a disparu de
la circulation cognitive. C'est l'inculture qui semble prendre le
dessus en raison de la massification de l'université. Le lycée ne
fournit plus à l'université, comme par le passé, une population
estudiantine suffisamment bien formée à même d'assimiler immédiatement
un enseignement du «supérieur». L'enseignant de ce dernier se voit
réduit à dispenser l'indispensable (qui n'est pas toujours suffisant,
encore moins satisfaisant) à ses étudiants. C'est-ce que Thierry
Desjardins appelle « l'inculture dans la haute culture ». C'est-à-dire
une culture au rabais. Voilà comment l'université sombre doucement et
sûrement dans une forme de léthargie intellectuelle sans précédent. Le
savoir, la culture, la lecture, l'engouement d'apprendre ne sont plus
un plaisir qui est, selon les psychopédagogues, la condition sine qua
non pour l'équilibre mental et intellectuel.
Notre université
rappelle le «bateau ivre» d'Arthur Rimbaud surchargé qui ploie sous la
masse de sa population estudiantine sans commandant de bord chevronné,
livré à des timoniers politiques sans expérience, sans cap ni compas
gyroscopique, au beau milieu d'une tempête sociale qui [la société] ne
sait plus ce qu'elle veut ni ce qu'on veut faire d'elle. Ce qui
explique, en partie, la baisse crescendo du niveau.
Le débat
qui continue à susciter des vagues houleuses, tant au niveau politique,
pédagogique que social, est qu'on ne sait plus quoi faire de
l'université si c'est un haut lieu du savoir, comme son nom l'indique,
ou un simple centre «supérieur (?)» de formation professionnelle qui
n'a rien avoir avec les Ecoles supérieures. Les professeurs sont
souvent confrontés à un dilemme quasi insoluble: ils fixent leurs cours
en fonction de leur formation pointue et non selon les besoins
pédagogiques parce que chacun est spécialiste dans son domaine. Quant
aux étudiants, ils veulent apprendre ce qu'ils considèrent utile au
bassin de l'emploi à dessein de multiplier leurs chances à trouver un
travail. Denrée, hélas, de plus en plus rare de nos jours, chez nous
comme ailleurs.
L'université s'est fourvoyée de sa mission
première en donnant la priorité à une sorte de culture de formation
professionnelle au détriment de la culture générale. Voilà comment on
devient un pays sans grande culture. C'est-à-dire « on forme » un
peuple d'incultes. Si le personnel pédagogique s'emporte dans de
saintes colères, c'est pour exprimer son ire de voir l'enseignement
supérieur sérieusement éprouvé, voire malade, très malade. Il refuse de
voir mourir son université, encore moins d'assister à son enterrement.
Il reste impuissant à son chevet juste pour la veiller sans trop savoir
comment y remédier. Ce n'est pas la volonté qui lui fait défaut, mais
les moyens lui manquent parce qu'ils relèvent exclusivement du
politique. Est-ce la descente aux enfers pour notre université ? Elle
fait cruellement défaut d'un personnel hautement qualifié, à l'instar
des grandes universités de renom. Toujours selon Thierry Desjardins:
«On ne peut pas être un enseignant du supérieur sans être chercheur car
sinon on se coupe des réalités, et on ne peut pas être chercheur sans
enseigner car sinon on se sclérose.»
Chacun (enseignants et
étudiants) aimerait être ce qu'il aurait souhaité être, mais aucun
d'eux ne peut l'être en raison de la désillusion qui s'infiltre
insidieusement dans les esprits et les ronge tant des étudiants que des
enseignants. Les réformes successives n'ont pas donné les résultats
escomptés, encore moins rehaussé le niveau vu le nombre astronomique
des nouveaux étudiants qui s'inscrivent chaque année. Une vraie réforme
consiste, aux yeux de certains analystes, à démystifier quelques
concepts qu'il faut analyser scientifiquement tels que «le bac»,
«l'université», «le diplôme». Lorsqu'on aura cerné l'acception de
chacun de ces vocables, pourrait-on alors frayer un chemin qui sera la
voie royale vers une réforme qui correspondra exactement aux objectifs
de l'université algérienne sans singer les Autres dans ce qu'ils ont de
médiocre. L'université algérienne, à l'instar des autres universités du
monde, a besoin de réformes pour s'épousseter et de « se booster » afin
de suivre la marche du temps et non fermer la marche. C'est lorsque des
réformes sont politiquement larguées du haut que les esprits
s'ébranlent et les boyaux se tordent.
Ainsi, on pourra éviter
à notre université son actuelle précarité pour qu'elle puisse dispenser
un enseignement de qualité irréprochable comme autrefois. Pour ce
faire, il faut revoir la copie en vigueur qui veut résoudre les
problèmes en les occultant et en évitant d'en parler. Ce qui est, en
soi, une fuite en avant des plus absurdes politiquement. Il ne faut pas
craindre de prendre le taureau par les cornes. C'est-à-dire faire
remonter en surface tous les problèmes en suspens pour être
objectivement mais définitivement résolus, de se concerter à dessein de
trouver collectivement les solutions idoines qui existent,
certainement, si la volonté politique y est.
Tout le monde
sait que le métier de l'enseignant du supérieur s'est dangereusement
dégradé, d'ailleurs, tout comme son niveau de vie. Cette dégradation
est due au «mal-être» de l'enseignant. Il y a de quoi. A voir un député
inculte, voire « analpha-bête » sans diplôme percevoir 300 000,00
DA/mois, sans prendre en ligne de compte les bonus et autres avantages,
cela donne du vertige. Alors que le professeur-chercheur impétrant d'un
doctorat en tant que dernier degré universitaire perçoit à peine le
cinquième de ce salaire, cela démotive le plus motivé des enseignants.
C'est une profession qui est en voie de décomposition latente mais
active et effective.
Sans vouloir remuer « la plume dans la
plaie », selon l'expression d'Albert Londres, il faut rappeler que le
métier d'enseignant est de moins en moins valorisé en dépit de sa
noblesse. Dante a raison de dire que « le premier besoin de l'homme
après le pain est l'alphabet ». Le comble dans tout cela est qu'il est
dévalorisé par des responsables politiques qui, eux-mêmes, étaient
formés à l'école par leurs enseignants, tous paliers confondus. Il
souffre du manque d'aisance matérielle et surtout du défaut de
considération sociale. Voilà pourquoi le métier de professeur
d'université est de moins en moins attrayant en Algérie. Un docteur est
rémunéré à hauteur de 500 euros. En Somalie, l'enseignant du supérieur
est nettement mieux payé, sans parler de nos voisins de l'Est et de
l'Ouest.
Ce présent article ne doit pas être lu sous l'angle
d'un pamphlet. C'est, tout au plus, un peu d'alcool versé sur la plaie
pour désinfecter. S'il brûle, c'est qu'il agit. Ce constat amer
pourrait, souhaitons-le, faire réagir les responsables compétents qui
leur reste un petit reste de civisme. Il pourrait, aussi, leur
dessiller les yeux, chacun à son niveau et éclairer leurs esprits
enténébrés sur les risques que peut engendrer l'actuelle situation
telle que les grèves à répétition, démotivation des enseignants,
démoralisation des étudiants si rien n'est fait. A moins que ça ne soit
leur but Fermer les yeux pour ne rien voir, se boucher les oreilles
pour ne rien entendre est gravement impolitique tant pour la communauté
universitaire que pour la société dans son ensemble.
Après
tout, gardons espoir de retrouver, un jour, l'université perdue.
Faut-il que nous soyons encore de ce monde. Enfin... bonne reprise.
Aux bons gestionnaires et amis du Savoir, l'université est reconnaissante.
*Docteur ès lettres
Maître de conférences
Université de Chlef